Michel Audiard - La nuit, le jour et toutes les autres nuits



On sort un peu éreinté de ce livre dont on avait, sauf erreur, découvert l'existence dans La Séance du mercredi à 14 heures d'Éric Neuhoff. Éreinté, car le style d'Audiard n'est pas de tout repos - audiardien avant tout, certes, mais aussi très célinien, avec de brusques accès de lyrisme ou d'une noire desespérance. Éreinté, car si le livre revendique son unité de temps, vingt-quatre heures d'une errance parisienne, le récit n'a rien d'un long fleuve tranquille : le narrateur passe sans cesse d'un personnage à un autre, d'une époque à une autre, jusqu'à ce qu'on finisse par s'y perdre un peu. Éreinté, car ce livre fantasmatique entre roman et souvenirs est d'une noirceur rare : le narrateur n'a qu'un rêve, qu'une bombe atomique mette fin au monde ; en attendant ce moment, il rumine son dégoût de l'humanité, son amertume, rôde dans les cimetières à parler à ceux qui ne sont plus là, ressasse des épisodes tragiques de son passé, tourne en ridicule ceux qui le côtoient pour sa notoriété. À côté de cela, il dresse un tableau saisissant de Paris, tendre et cruel, un Paris des humbles, des petites gens, un Paris disparu que les souvenirs du narrateur, effacés par le temps, ont de plus en plus de mal à évoquer.
Qu'on n'aille pas demander ce livre curieux, publié en 1978, à son libraire : il n'est plus édité. Il est vrai qu'il ne fait pas dans la dentelle - ici, le noir est un nègre et l'arabe un bic. L'auteur ne fait pas non plus dans le politiquement correct quand il revient sur la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation et surtout l'Épuration, avec ses délateurs, tous ceux qui se découvrent soudain "résistants" et leurs victimes, comme Myrette, prostituée amie du narrateur, violée, tondue et lapidée à coups de pavés par une foule en furie.
On est décidément loin, très loin, des Tontons flingueurs.

Commentaires

  1. Bon article. Bien écrit. Vous écrivez ?

    RépondreSupprimer
  2. Un de mes stagiaires. Il s'essaie aussi au roman d'action : "Il visa et pressa la détente du Desert Eagle. Un coup de tonnerre gronda dans le paysage calciné. La .50 Action Express transperça l’air chaud et cisailla le haut de l’oreille du pourri, qui porta la main à sa tête en poussant un glapissement." Vous voyez le genre...

    RépondreSupprimer
  3. Je vois. Encore de cette saloperie d'autofiction.

    RépondreSupprimer
  4. Sur Audiard et Céline, vous pourrez lire le n°13 du Petit Célinien :

    http://lepetitcelinien.blogspot.com/2009/07/le-petit-celinien-n13-special-michel.html

    RépondreSupprimer
  5. Effectivement, c'est une lecture éprouvante. Ca ne se fait pas de parler de soi, mais j'avais tenté de l'évoquer (entre autres) ici :

    http://www.gonzai.com/content/les-gauloiseries-3-la-cavale-de-broca-com%C3%A9die-fran%C3%A7aise-des-70

    RépondreSupprimer
  6. Et je découvre qu'en fait, il vient d'être réédité...

    RépondreSupprimer
  7. Oh ! et j'aime évidemment beaucoup Philippe de Broca...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire